La variole aviaire (poxvirose) en France

[fethi d'alger]

La variole aviaire (poxvirose) en France : trois vétérinaires nous en disent plus
Julie Tucoulet et Philippe Gourlay, vétérinaires au CVFSE, et Guillaume Le Loc’h, vétérinaire à Reneco for Wildlife Preservation, ont répondu à nos questions concernant cette maladie et sa situation en France.
source : ornithomedia
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Julie Tucoulet, vétérinaire stagiaire qui a effectué son Master "Surveillance épidémiologique des maladies humaines et animales" en 2014-2015 au Centre Vétérinaire de la Faune Sauvage et des Écosystèmes des Pays de la Loire, et Philippe Gourlay, ingénieur de recherche et responsable vétérinaire du CVFSE.
La variole aviaire ou poxvirose est une maladie virale touchant une grande diversité d'espèces d'oiseaux (plus de 230 appartenant à 70 familles) à travers le monde. Elle est causée par un groupe de virus du genre Avipoxvirus (famille des Poxviridés). Elle existe sous deux formes, celle dite "sèche" ou cutanée, rarement mortelle, qui se traduit par l'apparition de nodules cutanés pouvant être particulièrement volumineux, et celle dite "humide", souvent létale, qui atteint les muqueuses digestives et/ou respiratoires. Au début des années 2000, les cas se sont multipliés chez la Mésange charbonnière (Parus major) en Grande-Bretagne, et la maladie est a priori apparue en France en 2006. Afin d'en savoir plus sur la situation de la poxvirose sur le territoire métropolitain, le Centre Vétérinaire de la Faune Sauvage et des Écosystèmes des Pays de la Loire (CVFSE), créé en 1985 par des élèves de l'École Nationale Vétérinaire Agroalimentaire et de l'Alimentation de Nantes (Oniris), a mené des enquêtes nationales durant les hivers 2012-2013 et 2014-2015 et a effectué des analyses sur des cadavres de mésanges.
Julie Tucoulet, vétérinaire stagiaire qui a effectué son Master "Surveillance épidémiologique des maladies humaines et animales" en 2014-2015, Philippe Gourlay, ingénieur de recherche et responsable vétérinaire du CVFSE, et Guillaume Le Loc’h, responsable vétérinaire à Reneco for Wildlife Preservation, ont répondu à nos questions sur cette maladie et sur sa situation en France.
1. Le CVFSE a lancé ces dernières années plusieurs enquêtes afin de mieux comprendre la situation de la variole aviaire (poxvirose) en France : quels sont les principaux résultats obtenus ? Certaines régions sont-elles plus touchées que d'autres ?
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Mésange charbonnière (Parus major) atteinte de variole aviaire, Mulhouse (Haut-Rhin), le 26/01/2013.
Photographie : Marc Wilb
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : le CVFSE s’est effectivement intéressé depuis l’hiver 2012-2013 à la poxvirose (ou variole aviaire) chez la Mésange charbonnière (Parus major) (lire La variole aviaire ou poxvirose). Cette maladie, connue chez cette espèce depuis les années 1970 en Scandinavie, est devenue émergente en Europe de l’Ouest dans les années 2000 et quelques témoignages spontanés provenant de plusieurs départements sont parvenus au CVFSE en 2012. Nous avons alors lancé une étude pour en savoir plus sur la situation de la maladie dans l'hexagone. Deux enquêtes hivernales (2012-2013 et 2014-2015) ont été réalisées. À l’issue de celles-ci, nous pouvons dire que la maladie est présente sur les deux tiers du territoire métropolitain, principalement selon une diagonale Nord-Est/Sud-Ouest. Elle est apparue a priori en 2006 (au plus tard) en France et la proportion de mésanges malades est plutôt faible. Un rapport détaillé de l'étude, qui a fait l’objet d’un mémoire de Master 2 en épidémiologie, sera prochainement disponible sur le site web de l’AEEMA (Association pour l'Étude de l'Épidémiologie des Maladies Animales).
2. Sait-on pourquoi en Europe les Mésanges charbonnières sont particulièrement touchées ? Quelles sont les autres espèces d’oiseaux sauvages les plus touchées en France ?
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : la Mésange charbonnière développe des nodules cutanés particulièrement volumineux causés par un avipoxvirus qui semble spécifique. Bien que l’expression clinique de la maladie chez cette espèce soit particulièrement spectaculaire, ce qui permet un repérage facile des oiseaux malades et qui peut donner l’impression que la maladie est fréquente, la proportion des mésanges touchées semble faible, du même ordre de grandeur que celle constatée chez d'autres espèces. Des nodules cutanés évocateurs de poxvirose ont aussi été observés chez les Mésanges bleue (Cyanistes caeruleus), boréale (Poecile montanus), noire (Periparus ater) et nonnette (Poecile palustris). Des signes cliniques de la poxvirose ont été signalés chez des espèces appartenant à d’autres familles comme l’Accenteur mouchet (Prunella modularis), la Gélinotte des bois (Tetrastes bonasia), l’Autour des palombes (Accipiter gentilis), la Buse variable (Buteo buteo) ou encore le Pigeon ramier (Columba palumbus). La maladie est connue chez plus de 230 espèces d’oiseaux dans le monde.
3. Le nourrissage des oiseaux sauvages constitue-t-il un facteur de développement de la maladie ? Est-ce pour cela que les mésanges de Grande-Bretagne ont été particulièrement touchées ?
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : le nourrissage artificiel par l’Homme entraîne des regroupements parfois importants. Comme pour d’autres agents infectieux (bactéries, parasites), cela favorise la transmission du virus entre les oiseaux (par contact direct) ou par l’intermédiaire du support (par contact indirect, les avipoxvirus étant résistants dans l’environnement). Ainsi, si une Mésange charbonnière suspecte de poxvirose est observée sur une mangeoire, il est recommandé d’arrêter le nourrissage des oiseaux au moins pendant un mois (lire Nourrir les oiseaux en été : oui, mais attention aux maladies). Il est par ailleurs indispensable de retirer, de nettoyer correctement et de désinfecter les mangeoires. Bien que les postes de nourrissage représentent une source de virus et donc d’infection potentielle, la voie principale de la transmission se fait a priori via des piqûres d‘insectes (par exemple de moustiques) et d’autres arthropodes. La propagation de la maladie est ainsi multifactorielle, et il n’est pas possible d'affirmer à l’heure actuelle que le nourrissage des oiseaux des jardins est responsable à lui seul de l’apparente émergence et propagation de la maladie en Europe de l'Ouest.
4. On ne parle de variole aviaire que depuis quelques années : pour quelles raisons ? Est-ce une maladie en expansion ?
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Mésange charbonnière (Parus major) atteinte de variole aviaire, Mulhouse (Haut-Rhin), le 26/01/2013.
Photographie : Marc Wilb
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : la poxvirose est une maladie connue depuis longtemps en aviculture chez les volailles domestiques et chez de nombreuses espèces sauvages. On en parle davantage depuis quelques années car elle est particulièrement visible chez la Mésange charbonnière et que les cas se sont multipliés en Europe de l’Ouest dans les années 2000. Dans d’autres régions du monde, les problèmes liés à la poxvirose sont bien connus, notamment dans certains archipels (Hawaï, Galápagos, Canaries), où la maladie constitue une cause majeure de déclin chez plusieurs espèces endémiques. Les facteurs de transmission étant en progression (multiplication des insectes vecteurs en raison du réchauffement climatique, nourrissage dans les jardins), il est probable que la maladie continue son expansion géographique dans les années à venir.
5. Il existe deux formes de variole aviaire, la "sèche" et "l’humide" : si la première est spectaculaire (lésions bien visibles), comment faites-vous pour repérer les oiseaux sauvages atteints de la seconde ?
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : la forme "sèche" ou cutanée est en effet facile à repérer car elle se traduit par l'apparition de nodules cutanés parfois particulièrement volumineux chez la Mésange charbonnière. La forme "humide" ou diphtérique se caractérise par une atteinte des muqueuses digestives hautes et/ou respiratoires et elle est donc impossible à repérer à distance sur un oiseau sauvage. Par ailleurs, cette dernière forme est souvent plus létale et il est possible que les oiseaux infectés meurent rapidement avant de pouvoir être observés vivants. Seul un examen en main d'un animal vivant ou mort permet de détecter un possible cas d'infection par la forme humide de la poxvirose. Nous n’avons pour l’instant jamais observé de cas de poxvirose "humide" chez la Mésange charbonnière en France.
6. Avez-vous déjà vu des cas très spectaculaires d’oiseaux atteints de la forme "sèche" de la variole aviaire ? Peuvent-ils survivre avec leurs lésions importantes du moment qu’ils peuvent continuer à voir et à manger ?
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : oui, nous avons reçu de nombreux témoignages de Mésanges charbonnières présentant des lésions très impressionnantes, notamment sur la tête. Quelques cadavres nous ont aussi été envoyés, ce qui nous a permis de réaliser des examens complémentaires. Une lésion importante n’entraîne pas nécessairement la mort de l’animal : son système immunitaire peut en effet finalement réussir à "prendre le dessus" sur le virus et l’oiseau peut guérir (lire Comment les oiseaux handicapés survivent-ils ?). En revanche, des lésions très volumineuses peuvent représenter un vrai handicap chez l'oiseau, en réduisant son champ visuel par exemple. Il devient alors plus sensible à la prédation et sa recherche de la nourriture est rendue plus difficile.
7. Peut-on aider un oiseau recueilli atteint de variole aviaire ?
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : il n’y a pas de traitement spécifique de la poxvirose aviaire. Alors que des cas de poxvirose peuvent être pris en charge avec des traitements de soutien chez les oiseaux captifs, il est impossible d’administrer un traitement efficace à des oiseaux sauvages dans leur milieu naturel. Si vous trouvez un oiseau sauvage affaibli présentant des nodules cutanés, il doit être envoyé dans un centre de soins de la faune sauvage agréé pour être pris en charge. La détention d’oiseaux sauvages étant strictement réglementée, seules des personnes et des structures habilitées peuvent les recevoir et les prendre en charge pour diagnostic et/ou réhabilitation.
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Corbeau à gros bec (Corvus macrorhynchos) atteint de variole aviaire, Japon, juin 2012.
Source : image extraite d'une vidéo publiée par Hokkaidozoo

8. Quelles sont les techniques d’analyse que vous utilisez pour identifier les différentes espèces d’avipoxvirus de la variole aviaire ? Ce travail d’identification est-il difficile ?
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : une suspicion de poxvirose se fait tout d’abord cliniquement par l’observation des nodules cutanés évocateurs. Le diagnostic de laboratoire, permettant une confirmation de la suspicion, repose sur des analyses histologiques et/ou de biologie moléculaire : les premières permettent d’observer des lésions microscopiques caractéristiques de la maladie, tandis que les secondes peuvent mettre en évidence la présence du matériel génétique du virus (ADN) dans les prélèvements. Ces analyses nécessitent du matériel adapté et des compétences particulièrement poussées que nous ne possédons pas au CVFSE, et nous avons travaillé avec des confrères spécialisés de l'Oniris et de l’École Nationale Vétérinaire de Toulouse.
9. La variole aviaire est-elle répandue dans le monde entier ? Quels sont les pays et les espèces d’oiseaux les plus touchés par cette maladie ? Sait-on pourquoi "seulement" environ 300 espèces d’oiseaux sont touchées ?
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : la poxvirose aviaire est mondialement répandue et est présente chez de nombreuses espèces d’oiseaux appartenant à des ordres et à des familles variés. Comme la maladie n’a pas été étudiée avec les mêmes moyens (scientifiques, financiers) selon les pays et les espèces, il est actuellement difficile de dire lesquels sont les plus touchés mais l'on peut supposer que la plupart des espèces sont sensibles aux infections par des avipoxvirus, leur diversité étant grande.
10. Quelles sont les espèces d’Avipoxvirus les plus dangereuses (mortelles/handicapantes) pour les oiseaux ?
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Tourterelle triste (Zenaida macroura) atteinte de variole aviaire, États-Unis, le 20/07/2014.
Source : image extraite d'une vidéo publiée par Matoaka Rolfe

11. Les oiseaux migrateurs sont-ils plus touchés que les espèces sédentaires ?

Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : a priori non. Les stratégies migratrices ou sédentaires des oiseaux n'expliquent pas leur sensibilité aux avipoxvirus.

12. La variole aviaire touche-t-elle les oiseaux toute l'année ou plutôt en hiver ?

Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : la poxvirose peut toucher les oiseaux durant toute l’année du fait de l'existence de modes de transmission directs et indirects entre oiseaux malades et sains. Une augmentation du nombre d'oiseaux malades peut être observée en automne du fait de l'accroissement du nombre de moustiques au cours de l'été et du temps de développement des lésions nécessaires pour qu’elles soient visibles macroscopiquement. La pratique du nourrissage hivernal favorise aussi l’observation d’oiseaux malades.

13. La variole aviaire peut-elle menacer la survie de certaines espèces d’oiseaux, par exemple sur les îles ?

Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : oui, voir plus haut. Certains poxvirus aviaires peuvent constituer une menace grave pour des espèces endémiques et/ou en voie de disparition, dont les populations ont souvent un système immunitaire incapable de gérer l’infection.

14. Des vaccins contre cette maladie sont actuellement recherchés pour les oiseaux d’élevage : des résultats efficaces ou intéressants ont-ils déjà été obtenus ? Sur quelles espèces ?

Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : la vaccination contre la variole aviaire est couramment employée dans certains pays pour protéger les élevages avicoles, de canaris ou d'espèces menacées, comme ceux de l'Outarde houbara (Chlamydotis undulata) (lire Lâchers massifs d'Outardes houbaras en Afrique du Nord : protéger pour mieux tuer ?). Toutefois, le succès de la vaccination a récemment été remis en cause car la diversité et l’évolution des souches virales font que l’utilisation d’un unique vaccin n’est pas toujours suffisante. Actuellement, chez les espèces sauvages non captives, la situation épidémiologique de la maladie ne justifie pas le recours à la vaccination pour contrôler la maladie. Par ailleurs, chez ces oiseaux, il est très difficile d’envisager une vaccination car celle-ci ne se fait pour l’instant que par injection (il n'existe pas de vaccination par l'alimentation ou l’eau).

15. La variole aviaire peut-elle, dans certaines circonstances, être transmise à l'Homme ?

Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : non, la poxvirose aviaire n’est pas une zoonose. En revanche, l’Homme peut participer à la diffusion du virus par un transport passif mécanique. Ainsi, si vous avez des mangeoires chez vous, il est important de respecter des règles d’hygiène comme le nettoyage et la désinfection en prenant des précautions, comme l'usage de gants de protection.
16. La variole aviaire est-elle un sujet prioritaire pour le CVFSE ? D’autres études sont-elles prévues sur le sujet ?
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Mésange charbonnière (Parus major) atteinte de variole aviaire, Mulhouse (Haut-Rhin), le 26/01/2013.
Photographie : Marc Wilb
Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : le CVFSE s’intéresse entre autres aux maladies des oiseaux des jardins. À ce titre et compte tenu de l’actualité sanitaire, la poxvirose de la Mésange charbonnière a constitué un sujet d’étude au cours de ces dernières années. L’objectif est de poursuivre sur le long terme cette étude afin de pouvoir réaliser un suivi de la maladie. Pour cela, des moyens sont nécessaires et des démarches sont à l’heure actuelle en cours pour pouvoir les obtenir.

17. Étudiez-vous aussi d’autres maladies touchant les oiseaux sauvages, comme la grippe aviaire ? Quelles sont les maladies aviaires les plus répandues dans l’avifaune sauvage française ?

Julie Tucoulet, Philippe Gourlay et Guillaume Le Loc'h : le CVFSE étudie en effet d’autres maladies chez d’autres espèces d’oiseaux, qu’il s’agisse d’oiseaux marins ou de rapaces par exemple. Les virus de la grippe aviaire (lire La grippe aviaire) font partie des agents infectieux recherchés chez les oiseaux aquatiques, mais d’autres agents sont recherchés. Parmi les maladies aviaires infectieuses fréquemment diagnostiquées au sein de l’avifaune française, citons la salmonellose, la trichomonose ou encore le botulisme. D’autres zoonoses sont vraisemblablement répandues sur le territoire métropolitain, mais elles n’ont pas jusqu’à présent été mises en évidence faute de moyens diagnostiques. Les intoxications sont en revanche bien connues et peuvent être à l’origine de cas de mortalité massive, par exemple chez les oiseaux des plaines céréalières ou chez les rapaces nécrophages.

[Josic]

Merci Fethi pour cet exposé très détaillé.